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La vie est drôle...*
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La vie est drôle...*
14 janvier 2006

horoscopes

"-  Cette année, je me marie.

L’affirmation avait été lâchee sur un ton rieur, mais certain. Presque un pari. Plus qu’un pari, un “chiche”, Chiche que je me marie. T’es pas cap’ de te marier cette année. Ah ouais, chuis pas cap’? c’est c’ qu’on va voir.

Elle lit son Elle magazine, d’une voix claire et journalistique, l’index levé comme elle aime le faire avant de dire quelquechose d’important . « Du changement, de l’amour, vous avez envie de vous etablir et d’oublier le monde rêveur et precaire dans lequel vous vous complaisez depuis trop d’années ». Voilà, mon horoscope est formel, je me marie.

  - Mais avec qui ?

  - Je sais pas, mais tout va aller très vite, apparemment. En Mars, paff, je le rencontre, en Juin je memets en menage, en Septembre je l’epouse, et en Decembre on met un bebe en route. Et comme ça je rejoins mes plans de vie de quand j’avais 12 ans. Pif paf. On arrete les conneries, hop la.

Elle se ressert un verre de vin en souriant, l’air satisfait.

   - Il est bon, ce vin, si t’aimais le vin je t’en servirais, tiens.

   - Non merci je reste au jus de pomme.

   - Merde, j’ai oublié de mettre une feve dans la galette, quelle conne.

   - Boh, c’est pas grave, on avait une chance sur deux d’avoir la couronne, y’avait pas beaucoup de suspense. Et pour moi, t’as regardé, pour mon année ? moi aussi je sais pas pourquoi, je sens qu’il va se passer des trucs.

   - Pour toi il se passe toujours des trucs. Toutes les années c’est ton année, toi. C’est enervant, d’ailleurs.

  - Ouais, mais la, plus, j’ai un pressentiment pour 2006. Comme si… comme si il devait m’arriver un truc important.

  - Attends, je regarde :

« le grand amour, vous savez ce que c’est, vous le rencontrez toutes les semaines ! » haha, ils te connaissent, attends, ils sont derriere toi, les mecs. « mais cette annee, revelation pour vous, il en existe un qui vous donne envie de rester. Sachez le reconnaître et vous connaîtrez le plaisir d’un bon diner aux chandelles, ou simplement d’une pizza et d’un DVD pour un moment complice, juste vous et lui. Le monde peut s’ecrouler, vous vous en moquez. » Eh ben, ça promet. Bon allez, je viens chanter a ton mariage, et toi tu me fais une danse du ventre au mien, ok ? Faut qu’on s’entraine, merde, on a plus beaucoup de temps !

  - Eh, mais c’est fou, t’as vu, on a des horoscopes de folaï, ptain, c’est dingue, il va nous arriver des trucs supers !!!

  - Ouais, dis donc. Incroyable. Elle coupe la galette et en sert une part monstrueuse a Amel.

  - Tiens, hop, c’est pour toi, pour 2006, apres tu me verras plus, tu boufferas des pizzas en regardant des DVD.

  - Oh non, toi je t’appellerai toujours, tu le sais, c’est pas un con de mec qui va m’empecher de te voir !

  - Non mais alors, sans blague.

Et elles croquent leur galette en recouvrant le tapis de miettes.

Mardi 10/01/2006 :

  - Ouais, c’est moi. T’es ou ? t’es par la ? Tu fais quoi, a midi ? Audrey parle entre ses dents pour que personne ne l’entende.

  - Coucou, la je suis a Paseo de Gracia, je suis presque a cote de ton boulot. Tu finis a quelle heure ?

  - Vers 13h, je pense. J’en peux plus, la, faut que je me casse.

  - Ha ha, tu m’etonnes. Moi je viens de mon entretien, la, ils m’ont fait chier, ils veulent quelqu’un qui a le permis, je leur ai dit que j’etais en train de le passer, on verra bien.

  - Mais c’est pour quel poste ?

  - Pour un truc de VRP, faut aller vendre des livres de cours de langues, et du coup il faut une voiture.

  - Ah merde. Et en metro, ca le fait pas, non ?

  - Ben non, c’est dans des bleds paumés, faut aller dans les ecoles, et tout…

  - Ha ha, je t’y vois, dans les ecoles, toi. Bonjour, je suis amel….(elle prend une voix super sensuelle facon telephone rose), tu vas faire peur aux enfants.

  - T’es con. Bon, on se retrouve où, alors, je viens t’attendre en bas ?

  - Ouais, ok, a 1h.

  - Ca marche. Tchao tchao.

  - A plus.

A 13h elles marchent vers le resto Thai qui fait les menus midi a 8,50 euros.

Il fait une belle journée, le soleil brille et leur sourire aussi.

  - Tu sais, j’ai repensé au truc de l’horoscope, si ça se trouve c’est vrai. D’habitude, je regarde vachement les mecs dans la rue, et la, franchement, ce matin, j’avais pas envie, je me disais que j’avais envie d’un truc joli, tu vois, une vraie histoire, pas un truc de cul ou tu jettes le mec apres, non, une RELATION, quoi.

  - Ouais, un truc NORMAL, en fait, c’est ça ? Audrey se marre en mangeant ses raviolis frits. De temps a autre en ecoutant Amel, elle prend une gorgee de biere. Pour gagner du temps, aussi, parce qu’elle sait qu’elle aura deja fini son plat quand amel commencera son entree.

  - Ouais, un truc joli.

Amel fait jouer ses baguettes pour saisir un sashimi, qu’elle trempe dans la sauce sur toutes ses faces avant de l’engouffrer tout entier.

- Ch’est bon, ichi, djis donc, heimpff, quand mememmm, dit-elle, la bouche pleine. Non mais tu vois, en meme temps je me dis j’ai 30 ans, c’est le moment pour plein de choses, j’en ai profité jusqu’ici, mais j’ai envie de quelquechose d’autre, de different.

A ce moment, un serveur passe, elle le regarde de la tete aux pieds, de son regard de mante religieuse. Lui aussi, elle pourrait le prendre au bout de ses baguettes et le manger tout entier…

A 3 heures, Audrey reprend le chemin du bureau. A peine rentree dans les locaux, elle sent deja le souffle sec du chauffage lui bruler les joues. Tellement artificiel et confiné par rapport a la rue fraiche qu’elle vient de quitter. Un coussin mou qui l’etouffe, qui enveloppe les pensées et les empeche d’affluer, comme si elles devaient nager avec de larges palmes pour remonter a la surface. Elle s’asseoit devant son Macintosh et reflechit quelques minutes, en remuant la souris de temps en temps pour créer l’illusion devant ses collegues.

Elle pense qu’elle aussi elle aura bientôt 30 ans, l’age du premier bilan. Trop jeune pour abandonner ses reves, mais deja trop vieille pour changer completement de vie. Un compromis entre les ideaux et la securité, les illusions et la realité, la rebellion et le confort. Le bonheur se situerait-il au milieu ? Ou est le milieu ? Tout est tellement subjectif, suivant les personalites des gens,  le conformiste, le farfelu, le fort, le faible, le timide, l’arrogant. Tous des personnalites differentes et tous dans le meme moule, de quoi se blesser en essayant de limer les angles pour y rentrer. Elle pense a l’image de la prison dorée, etre enfermé comme un canari, et etre obligé de chanter pour qu’on vous donne des graines. Meme quand on en a pas envie. Comme un chien qui mettrait lui-même son collier et viendrait s’attacher tous les matins pour ensuite tirer sur sa chaine en gemissant toute la journée. L’homme est un peu fou, pense-t’elle, capable du meilleur comme du pire. On sait produire les choses en 3 fois moins de temps qu’avant et on travaille 3 fois plus. Bizarre, quand on y pense.

Petite, ses desirs n’etaient pourtant pas parmi les plus ambitieux : «moi je voudrais etre boulangère, ou buraliste », parce qu’elle aimait bien faire des gateaux, et aimait bien le bureau de tabac du centre ville, qui sentait bon les dragibus et les frites acidulées. Tres peu pour elle les pompières et les presidentes de la republique, non, du concret, du tout simple, du pratique. 20 ans de conditionnement social plus tard, etre boulangere c’est juste pour celles qui ont pas pu faire d’etudes, et vendre des Tacotac c’est la honte, donc on finit dans une entreprise 8 heures par jour a respirer les miasmes des autres dans 20 metres cubes d’air surchauffé, en restant persuadé qu’on s’est trompé de voie, mais en n’osant rien changer pour ne pas perdre l’estime de son entourage.

« …Et si je mourais demain ? serais-je satisfaite de ma vie ? et si on me donnait 6 mois a vivre, qu’est ce que je ferais de mes derniers jours ? » . Souvent elle se posait ces questions, et elle se disait que le grand desespoir de cette vie n’etait pas la mort en soi, mais plutot de ne pas pouvoir la prevoir. Si on nous disait exactement quel jour on allait mourir, on agirait differemment, on ne passerait pas le temps a amasser et a se preparer pour un hiver dont on ne sait quand il va commencer. Toute bonne gestion se fait avec des delais, des dead-lines(elle souriait devant ce jeu de mot sinistre), et a quoi ressemblait cette vie, ou on ne sait pas quand la fin arrive ? comme une salle de cinema dans laquelle on rentre de force, et sans savoir combien de temps dure le film ? Bizarre. Le bonheur est de se dire que chaque jour est peut etre le dernier, et d’en profiter au maximum, mais qu’en pensent les anciennes celebrités qui avaient une vie, une femme, des fans, et qui du jour au lendemain sans economies et surendettés se retrouvent a la rue ? Ils se disent qu’ils auraient dû prevoir. Ceci nous ramene a cela. »

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