- Vas y depeche toi!
- J’arrive! P’tain merde, je me suis tordu la cheville ! ca glisse bordel !
Il a plu sur les trottoirs de Barcelone, mes talons derapent sur le pavé humide.
- y’a un taxi, vas y choppe-le !
- woh, taxi !
Nous grimpons dans le taxi jaune et noir. Il est 0h30. Amel se marre, on a eu du bol, y’a pas beaucoup de taxis a cette heure. Le chauffeur ecoute Bob Sinclar, a fond, on suit le rythme en dodelinant de la tete. Ce soir nous allons au Catwalk, juste entre les deux tours, pres de la plage. La musique est sympa la bas, et comme dit Amel, « y’a du biotifoul pipol et les mecs sont pas trop lourds ».
- Nos puede dejar aqui, gracias.
- Buenas noches!
On descend du taxi, la queue devant le Catwalk est immense, heureusement on est sur la liste VIP. Amel maintient des relations assez bonnes avec le RP, elle lui offre un bisou de ses levres lippues de temps a autres, juste de quoi lui laisser un peu d’espoir, et ça nous assure l’entree gratuite toutes les semaines.
- Hola, estoy en la lista de Nico, soy Amelie…
- Vale, podeis pasar.
Nous rentrons, le sourcil levé et la demarche chaloupée, triomphantes d’avoir grillé une queue de 50 personnes.
Un arret au vestiaire, le temps de poser nos manteaux, et nous voici escaladant le long escalier qui monte a la salle disco. Le volume de la musique augmente au fil des marches. Arrivees en haut c’est l’entree remarquée d’Amel, je comprendrai jamais ce qu’elle degage pour que la moitié d’une piste de danse se retourne sur elle quand elle passe. Comme une aura, un appel au sexe et a la luxure, des pheromones actives, ou quelquechose comme ça. Elle devant, moi derriere(tous derriere et elle devant), on traverse la piste en commençant a reperer les beaux mecs. Pas grand-chose, je notee qu’ils sont tous petits et moches, ce soir, et je lui fais part de ma remarque :
- Eh, y’a eu un lacher de nains, ce soir, non ?...on m’avait pas prevenue !
- Ha ha, ouais, ils sont trop laids, attends, r’garde l’aut’ naz, la bas, t’as vu, il a mis sa p’tite ceinture blanche, avec sa chemise noire ouverte jusqu'au nombril, la honte, eh….
Amel aime a se moquer. Tout le monde en prendra pour son grade, ce soir, et particulièrement ceux qui ont la chemise ouverte jusqu’au nombril, je crois qu’elle pourrait les frapper jusqu'à la mort du bout de ses talons hauts, elle les aime pas.
On monte à l’etage, salle hip hop. C’est là qu’Amel degage tout son pouvoir de séduction. Melange de sang Marocain, Grec, Turc et espagnol, elle a le rythme dans la peau et bouge son corps d’une façon sensuelle et suggestive. Ses ondulations lui valent l'admiration de la gent masculine, et la haine de tout le genre feminin. A part moi, qui reste plutot fair play devant son succes. Je la regarde danser, je trouve ça joli, et puis je m’amuse a faire des analyses psychologiques des gens autour, j’apprecie le comique de situation que provoquent l’envie et la jalousie des unes, et la drague maladroite des autres.
De temps en temps un grand black tente une approche, trois fois il vient se planter devant Amel en tortillant des fesses, trois fois il est repoussé d’un haussement de sourcils. Finalement il vient danser avec moi, me secoue ses epaules et ses pecs sous le nez (il est tres grand) mais comme je considere assez peu flatteur le fait d’être Number Two, moi aussi je le snobe. Souvent je dis a Amel que si je l’avais connue plus tot, elle aurait pu etre un bon « rabatteur » , elle aurait attiré les mecs et j’aurais joué les back up pour tous ceux qu’elle aurait rejeté, mais aujourd’hui c’est trop tard, ma consommation en hommes est plus selective, je cherche plutot l’homme cerebral, futur pere de mes enfants, responsable et brillant dans son travail, seduisant et drole a la fois...
- T’as vu le mec la bas, il a un beau cul, non ?
De toute evidence, les objectifs d’Amel sont tres differents des miens.
Perdue dans mes pensées entre Jennifer Lopez et Justin Timberlake en fond sonore, je me surprends a penser que j’ai peut etre vieilli, apres tout. Suis-je a ma place ? Ces gens qui se dandinent a cote de moi me paraissent empruntés, comme sortis d’un clip de MTV, les filles remuent leurs fesses frenetiquement, les mecs les regardent comme s’ils etaient devant l’etal du boucher. Tout est artificiel, avoir l’air branché, fun, cool, mais au fond on sent un grand manque de confiance en soi, tous se ressemblent, ils sont sapes pareil, plus on prône l’originalite plus on s’uniformise, c’est assez etrange, au fond. Je me souviens des soirees de quand j’avais 17 ans, tout le monde souriait, on s’attrapait par les epaules et on dansait tous ensemble, on sentait un esprit de groupe, un esprit de fete, une communion, une envie d’aller vers les autres….Tout d’un coup j’ai un coup de blues, je me sens pas a ma place. J’ai besoin d’un verre.
Trois whisky cocas plus tard je disserte philosophie avec quatre amis italiens rencontrés au bar. C’est fou comme l’alcool delie les langues, en temps normal j’aurais surement rien a dire a ces mecs, et la, on dirait que je les connais depuis toujours. Ils sont de Turin, c’est joli, Turin, il parait. Je sympathise avec le plus vieux d’entre eux, il a un visage a la Robbie Williams et un sourire a la David Beckam, le genre qui sent le méchant mais avec un visage angelique. Et en plus il est grand. Il me dit qu’il est ingenieur en Informatique(bof, pas tres sexy), et qu’il vit depuis deux ans a Barcelone dans un appartement de 120 m2 a Gracia(ça c’est plus sexy). Seul ? Oui, seul. Interessant. Pendant que j’approfondis l’affaire Robbie Beckham, Amel arrive en sueur, suivie d’une ombre informe en survet et casquette.
- Regarde qui j’ai trouvé !!! dit-elle, l’œil brillant et le sourire radieux.
- C’est qui ?
- C’est Mick, tu sais, on l’avait rencontré sur la plage, il m’avait donné son numero.
- Ah, le Dj?
- Ouiiii, c’est lui !!! t’as vu comme il tue ? il est trop beau, ce mec, je l’adore !!!
Je claque deux bises a Mick, pendant que lui me plaque ses deux grosses mains sur le bas des hanches, un signe d’affection propre aux DJ et aux designers que frequente Amel, le genre « proximité du corps, proximité de l’esprit, on est tous faits pareils, on est pas des bourges, on peut etablir un contact corporel sans le moindre sous-entendu… ». Je deteste ces mecs.
- t’es avec lui, t’as conclu ?
- non, on a juste dansé ensemble, il bouge bien, j’aime bien.
- Ah ouais. Chais pas, moi les mecs à casquettes, tu sais….je suis pas fan.
- C’est qui ces mecs ?
J’avais oublié mes italiens. Tous regardent Amel de la tete aux pieds, laissez le charme agir.
- c’est des mecs de Turin. Le grand il me plait, en plus il habite ici.
- Ah ouais, c’est cool.
Je la presente et me dis que par chance, le grand Robbie a une chemise ouverte, meme pas en rêve il pourrait plaire a Amel. Sauvée.
- qu’est ce que tu fais, tu restes la, ou tu rentres ? moi je crois que je vais rentrer. Elle me fait un clin d’œil en regardant le gangster a casquette.
- OK, moi je vais rester avec les Luigi, ils sont sympas.
- Bon, on se fait un debrief demain ! Bonne nuit !
- Bonne nuit, et pas de betises !!
- Tu me connais ! dit elle, et elle se retourne avec un sourire en coin.
Je reste accoudee un moment au bar a discuter avec mes compagnons de beuverie, puis ils commencent a parler d’aller en after, moi je pense plutot a rentrer. Le grand veut rentrer lui aussi, il me dit qu’il peut m’accompagner au metro, alors allons-y.
Arrivés au metro on continue a discuter, ce mec est vraiment sympa, il me dit qu’il est tard(ou trop tôt) et que le metro n’est pas tres sûr a cette heure-la, je peux aller dormir chez lui et repartir demain matin, sans aucun probleme, sans le moindre sous-entendu, je peux lui faire confiance, c’est un mec sérieux, bla bla bla….et l’alcool aidant, j’accepte d’aller dormir chez lui.
Il habite pres de la plaza del sol, et son appart est somptueux. Je me dis qu’il doit etre entretenu par papa et maman, c’est pas un salaire d’ingenieur qui peut lui payer un tel luxe. Impossible. Il y a vraiment des gens pour qui la vie a ete et sera facile, ils ont ete eleves dans le coton, ca se sent dans leur securité, dans leur facon de bouger, et paradoxalement c’est pas eux les plus pretentieux et les plus meprisants. Ils sont justes riches et ne ressentent pas le besoin de s'en vanter, ni de s'en excuser.
Assise dans le canapé blanc de son salon, il interrompt mes pensees avec une coupe de champagne. Il s’est mis a l’aise, a quitté ses chaussures pour rester en chaussettes qui glissent un peu sur le parquet. Il a mis un CD de musique douce que je soupçonne être l’habituel de ses soirées d’amour, je me croirais dans Dynastie ou les feux de l’amour. C’est un peu ridicule, et agreable, pourtant, de se sentir l'heoïne d'un feuilleton a l'eau de rose. Pour un peu le fou rire me gagnerait en imaginant la scene de l’exterieur. Ca m’arrive assez souvent, de me sentir imposteur dans une situation, tout ce qui est trop parfait me fait me dire que je suis en train de rever la scene, que ca n’est pas en train de se passer, et quand je realise que si, que c’est bien moi, j’ai envie de rire, comme si je regardais un film comique ou l’acteur ne se sent pas a l’aise, pas a sa place, un peu gaffeur. Je me sens un peu Pierre Richard, souvent.
Puis il s’asseoit a coté de moi, en tailleur, sur les coussins. Il se rapproche de plus en plus en me parlant. Quand il m’embrasse, tout mon corps commence a bruler, j’ai un frisson de la tete aux pieds, une seule caresse de sa main sur mon dos fait disparaître tout le mal etre d’avant et je commence a vraiment vivre l’instant, j’y suis, et je le vis, c’est moi qui fais. C’est moi. Ici. Je caresse ses cheveux, ils sont doux, et son oreille est froide sous la paume de ma main. Il embrasse mon cou, mon decollete, degrafe mon soutien gorge en un clic, et passe ses mains sur tout mon dos. Je leve les bras et il m’enleve mon tshirt. Je lui enleve le sien et ma peau rencontre enfin la douceur de la sienne. Il sent bon, surtout sur le torse, je respire sa peau en embrassant ses pectoraux, doucement, du bout des lèvres pour le chatouiller. Ses mains sont osseuses, je les regarde quand il les pose sur mon ventre, elles sont longues et fines, delicates. Je les trouve belles, et la facon qu’il a d’embrasser, de caresser, et de toucher aussi. J’aime me sentir desiree, mais doucement, je prefere qu’on me deguste, pas qu’on me devore. Lui, il deguste, goute, savoure. Une vraie nuit d’amour, ou on a tout le temps du monde, on se decouvre, on se donne, puis on s’endort serein dans les bras de l’autre.
Le lendemain matin, tout a changé. Tout le glamour s'est evaporé, Dans Dynastie on voit jamais les lendemains de fête. J’ouvre les yeux et sens sa respiration derriere moi, sur mon epaule. Comment je vais pouvoir me degager sans le reveiller ? j’ai mal a la tete, et je veux aller faire pipi. Ou sont les toilettes ? je me souviens plus. Quelle heure il peut etre ? ou est mon telephone ? ou sont mes fringues ? je rassemble tout le deroulement de la nuit dans ma tete et le remets dans l’ordre. Mes fringues sont au salon, a cote du canapé. Mon telephone est dans mon sac, sur la chaise de l’entree. Bien. Maintenant, les toilettes. Je bouge legerement, et reussis a degager mon epaule de sous son bras. Je roule en silence sur le bord du lit et me leve enfin, sans bruit. Mes pieds nus ne font pas de bruit sur le parquet, j’ouvre la porte de la chambre et arpente le long couloir a la recherche des toilettes, que je trouve comme toujours au fond a gauche, comme le veut la regle universelle en architecture.
J’ai toujours adoré observer les produits de beauté des hommes : shampooing anti chute, creme anti rides, after shave peau sensible, pince a epiler ou bain moussant, un festival de petits secrets rangés sur une etagere. Je me regarde dans le miroir, et je suis pas trop deçue, je pensais que ce serait pire. Mes levres sont rouges et charnues, mes pommettes sont roses, souvent une nuit d’amour vaut mieux que des années de creme anti rides, ce serait un bon sloggan de pub pour Durex, mais on y pensera plus tard. Un peu de mascara a coulé sous mes yeux, je l’essuie du bout de l’index. Je prends une douche rapide, puis après une brève hésitation, je mets un peu de « Mennen Fraicheur Océan » sous les bras. Je vais dans l'entrée chercher ma brosse a dents de voyage dans mon sac, et après quelques minutes, en me regardant dans la glace, l’air satisfait, je savoure l’instant de bonheur indescriptible qu’est celui de passer sa langue sur des dents lisses et propres apres 30 heures sans brossage.
Je retrouve mes fringues au salon, m’habille rapidement, puis je repars vers la chambre pour voir si Sleeping Beauty s’est reveillé. Les dents brossées et le corps rhabillé, je me sens un peu plus sure de moi face a un homme qui dort encore, et je me sens enfin capable de le reveiller. Je pose un bisou câlin sur la seule partie de son visage qui n’est pas ecrasée sur l’oreiller. Rien. Je lui en pose un autre sur l’epaule, un peu plus bruyant. Rien. Je caresse son dos, et le souvenir de la nuit me revient avec la douceur et la chaleur de sa peau. Je pourrais facilement tomber amoureuse de ce mec, il vaut mieux que je parte. Courage, fuyons. Au moment ou je me relève, il se retourne et commence a ouvrir les yeux. Je peux quand meme pas partir comme ça. Je lui dis « salut, bien dormi ? ». Il me regarde, et lui aussi semble se remettre les episodes de la soiree en ordre. Petit instant de malaise, autre complexe de l’imposteur, qu’est ce que je fais la, pourquoi je suis pas partie tant que je pouvais encore le faire, si ça se trouve je lui plais plus, j’ai honte, je voudrais pouvoir me teleporter chez moi, dans mon lit, et dormir. Oublier que tout ça s’est passé, penser que c’est un rêve, fermer la parenthèse, puisqu’aucun element de l’histoire ne touche directement ma vie. Une bulle hermétique, un film qui a eu un debut et une fin, et qui ne se regarde qu’une fois, comme tous les films a l’eau de rose. Et puis il sourit, et m’ouvre grand ses bras pour que je vienne le rejoindre. « ciao, bella ». J’ai pas la force de refuser l’invitation. Je me retrouve une fois de plus contre lui, et je sais plus quelle heure il est ni ce que je voulais faire aujourd’hui, je suis juste bien et je voudrais que le temps s’arrête. Je me rendors dans le pelage de son torse.
Le telephone me reveille au milieu d’un rêve ou je suis poursuivie par une meute de lapins armés, je trébuche et les vois s’approcher avec des airs menaçants, ils me regardent dans leurs viseurs, et j’entends le tip tip tip de mon portable, qui se substitue a la sirene de police que j’entendais dans mon rêve, je sursaute et extirpe le telephone de mon sac resté au bord du lit.
« ben alors, tu fais quoi, on devait pas aller patiner ? »
Amel. Patiner. A 16 heures a la plage. J’avais oublié.
« mais quelle heure il est, on avait pas dit a 4h ? »
« ouais, il est 4h1/2, je suis a Barceloneta, je t’attends… T’es ou, kess tu fous ? »
« hem…. » j’hesite avant de repondre, je connais la horde de questions que peut provoquer un « je suis pas chez moi ». Je rassemble mes idees pour choisir la solution la plus rapide et la plus simple.
« j’arrive dans ½ heure, ok ? a tout a l’heure, desolee, hein, je t’expliquerai»
Je fais une bise chaste a mon ami et lui explique que je dois partir. Il me donne son nº et je promets de l’appeler.
Je prends mes affaires et cours vers la porte. Il faut que je repasse chez moi pour prendre mes patins avant d’aller a la plage.
A barceloneta, Amel s’est installée sur la rembarde du metro. Un peu penchée en arriere en starlette pour capter tous les rayons du soleil, elle me regarde arriver en souriant.
« alors ? » dit-elle, un sourcil relevé d’un air suspicieux.
« ha ha….ben alors j’ai pas vu le temps passer… », je lui reponds d’un air malicieux.